Transformer la Jalousie et l’Envie en Compersion
Auteure: Marie Thouin
Traduction de l’anglais: Louis-Philippe Thouin
Imaginez ne ressentir aucune crainte que quelqu’un vous prenne quelque chose de précieux. Imaginez vous aimez vous-même complètement et ne jamais avoir à vous comparez à quelqu'un d'autre pour reconnaître votre propre valeur. Imaginez chacune de vos relations dénudée de toute concurrence, jalousie, ou envie—mais simplement remplie de bonté et d'amour.
Est-ce une proposition sérieuse?
Bien que la jalousie et l’envie soient une partie fondamentale de la condition humaine, elles peuvent aussi devenir des outils de transformation personnelle. Avec nos yeux ouverts, nous pouvons reconnaître ces émotions, comprendre pourquoi elles nous habitent, et apporter de la compassion dans ces endroits où nous nous sentons diminués ou laissés de côté. Notre exploration sincère de ces expériences humaines—parmi les plus difficiles—peut devenir l’un des plus importants catalyseurs de croissance et de guérison.
Une façon de devenir maîtres de notre jalousie est de cultiver la compersion—notre habilite de participer dans la joie d’autrui même quand leur bonheur ne nous est pas directement bénéfique. Je plongerai plus profondément dans le phénomène de la compersion dans quelques instants, mais tout d'abord, il est utile de connaître la différence entre jalousie et envie.
Même si la jalousie et l’envie vont souvent main dans la main, il y a des différences. La jalousie est une réaction à ce qui est perçu comme la menace de perdre quelque chose qui nous tient à cœur: prenons l'exemple stéréotypé d'une explosion romantique impliquant la suspicion ou la découverte d’une infidélité, ou l'inconfort que nous pourrions sentir quand notre partenaire semble attiré par quelqu'un d'autre. L'envie, par contre, fait référence aux sentiments négatifs que nous avons envers une personne ou un groupe de personnes qui possèdent quelque chose que nous voulons, mais que nous n'avons pas—comme l'argent, le pouvoir, le talent, la beauté, le statut, une relation amoureuse, etc. L’envie est souvent camouflée parmi d' autres émotions: c’est le serrement de la mâchoire quand on voit un collègue obtenir la promotion à laquelle nous aspirions; la subtile tension qui nous envahit lorsque notre ami.e reçoit plus d'attention que nous au bar; le creux dans l’estomac quand nous disons «Félicitations pour votre mariage!» - mais n’avons pas eu de rendez-vous galant depuis un an. À un certain niveau, nous sommes heureux pour eux, mais l'envie nous rappelle ce qui nous manque en introduisant de la souffrance dans une situation par ailleurs joyeuse. En raison de sa nature insidieuse, l’envie est susceptible d'être niée, réprimée et reconditionnée sous forme d’un jugement. Quoi que ces émotions soient distinctes, elles proviennent de la même croyance que plus pour toi est moins pour moi.
Le résultat? Nous sommes déconnectées du sens de notre unique valeur. Notre estime de soi et notre niveau de bonheur fluctuent comme le cours de Bourse d’une valeur, à la merci des évaluations externes. Même nos amis les plus chers peuvent devenir intrinsèquement nos rivaux, quoique de manière dissimulée. Jalousie et envie sont les murs invisibles qui nous maintiennent séparées les uns des autres, et nous empêchent de devenir pleinement épanouis—individuellement et collectivement.
Comment peut-on transformer la jalousie et l'envie en compersion?
La bonne nouvelle est que plusieurs personnes se sont penchées sérieusement sur cette question. Par exemple, le psychologue trans personnel Jorge N. Ferrer a suggéré la culture de la joie sympathique—la capacité humaine de participer de tout cœur au bonheur des autres—comme antidote à la jalousie et à la concurrence. Il souligne le bouddhisme comme étant l'une des principales traditions spirituelles à avoir mis de l’avant ce concept. En effet, les bouddhistes ont depuis longtemps considéré la joie sympathique (appelée mudita en sanskrit) comme l'une des quatre qualités des esprits illuminés—les trois autres étant aimant la bonté (metta), la compassion (Karuna), et l'équanimité (Upeksha). À leurs yeux, mudita remédie à la séparation illusoire entre soi et les autres et peut donc être un puissant véhicule sur le chemin de la libération.
Un second groupe qui considère la joie sympathique comme un idéal sont les personnes regroupées sous le vocable de consensuellement non monogame—une désignation qui comprend des polyamoureux, des échangistes, des gens dans une relation ouverte et d'autres qui se livrent à des relations intimes concourantes avec la pleine connaissance et le consentement de toutes les personnes impliquées. Ces personnes adoptent la position inhabituelle voulant que la jalousie ne devrait pas gouverner leur vie ou leurs choix de relations et que l’amour désintéressé peut être cultivé à sa place. Pour une personne consensuellement non monogame, l'expérience de la joie sympathique pour leur partenaire quand il établit un lien intime avec quelqu'un d'autre peut être une source de plaisir, d’accomplissement et de connexion—et c’est quelque chose qui peut être cultivé. N'ayant pas de terme précis pour désigner leur expérience de joie sympathique dans notre langage courant, ils ont inventé le mot compersion (le mot n'a pas encore été intégré aux principaux dictionnaires).
La compersion, tout comme l'expérience bouddhiste de mudita, peut être cultivée dans tout contexte où la jalousie ou l'envie peuvent se manifester, elle n'est pas limité aux relations intimes ou romantiques. Ainsi, les leçons apprises dans ces contextes religieux ou non-monogames peuvent être utilisées par nous tous pour créer des relations et des communautés plus aimantes. Voici quelques-unes de ces leçons tirées de mes propres recherches sur l'expérience de la compersion :
1) Prendre un engagement idéologique. Adoptez une position personnelle pour devenir maître de votre jalousie et de votre envie, plutôt que l’inverse. Une forte décision mentale peut vous aider à garder le cap lorsque la route devient difficile.
2) Valider, valider, valider. N’ayez pas honte de votre jalousie ou envie: ce sont des émotions tout à fait normales! Embrassez-les et ressentez-les avec compassion. Si possible, partagez votre expérience avec une personne en qui vous avez confiance pour ne pas porter de jugement: être accompagné dans cet espace aidera à atténuer les émotions et à désamorcer la honte.
3) Comprendre ce que vous ressentez et pourquoi. Utilisez votre jalousie et votre envie comme de puissants phares capables de mettre de la lumière sur vos blessures les plus profondes et sur vos désirs. Devenez détective dans vos émotions. Quelle est la source de cette jalousie ou de cette envie? Cette source nous amène-t-elle à un traumatisme douloureux ou blessure, telle une peur de l'abandon? Quels sont vos principaux déclencheurs de jalousie ou d’envie ? Cette information vous aidera à devenir plus intime avec vous-même.
4) Transformez la concurrence en amélioration personnelle. Cette concurrence peut être utilisée de manière positive pour alimenter votre amélioration personnelle. Utilisez la clarté que vous êtes en train d’atteindre sur vos déclencheurs de jalousie ou d’envie comme énergie de motivation pour obtenir les choses que vous voulez vraiment. Que pouvez-vous apprendre de quelqu'un dont vous êtes jaloux ou envieux sur la façon d’atteindre vos propres besoins et désirs?
5) Introduisez de l’amour, de la générosité et de la connexion dans la situation. Alors que la séparation engendre la jalousie, la connexion engendre l'amour et la compersion. Créez un lien sincère et intentionnel avec la personne dont vous vous sentez jaloux ou envieux; mettez-vous au défi de connecter personnellement avec elle et d’être généreux à son égard. Si vous observez en vous de l’envie envers une catégorie spécifique de personnes, par exemple «les gens qui sont conventionnellement plus attrayants que moi», choisissez quelqu'un qui représente ce groupe à vos yeux. Si cela est difficilement atteignable, offrez un acte de bonté à quelqu'un d' autre, mais avec la même intention. Ce pourrait être aussi simple qu'un petit cadeau ou un compliment. Cela déplacera votre dynamique interne de ce sentiment d'être victime à celui de vous sentir en pouvoir et généreuse dans cet espace émotionnel.
Apprendre à maîtriser notre jalousie et notre envie n’est certainement pas quelque chose de facile, mais ça nous permet d'aimer plus profondément et de se soutenir l’une l’autre dans nos forces et nos faiblesses—ce qui nous rend finalement tous plus forts. Compersion—ou joie sympathique—est la réalisation que plus pour vous est plus pour moi, parce nous ne sommes pas séparés . Il faut du courage et de la persévérance pour cultiver un amour radical, mais en choisissant de le faire, nous accédons au pouvoir de créer une réalité plus radieuse.
BIO de l’auteure:
Marie Thouin est doctorante à la California Institute of Integral Studies à San Francisco, où elle mène des recherches sur la compersion dans les relations non monogames consensuelles. Son travail sur la compersion a été présenté dans le magazine ELLE QUEBEC, sur le podcast EMOTIONS, et le COMMON GROUND magazine.